Je ne vous cacherai pas la peine que m'inspire ce monument majeur du patrimoine industriel régional qu'est le pont-canal de la Tranchasse, au contact avec les communes d'Ainay-le-Vieil et de Colombiers.
Ce pont, je le connais depuis toujours. C'est lui qui me permet d'aller travailler à Saint-Amand en vélo quand le temps s'y prête, de revenir à pied, de nuit, en pleine tempête de neige; j'ai même la fierté d'y avoir fait passer un de mes ânes, sur la trace de ses ancêtres tracteurs de péniches.
Depuis longtemps, ce pont va mal, très mal, même. Il y a plus de 20 ans, avec un groupe de copains, armés de scies et de serpes, nous avions tenté, sans rien demander à personne, de réduire la végétation parasite qui proliférait sur l'ouvrage, espérant donner à d'autres l'envie de poursuivre le travail. Beaucoup plus tard, d'autres bénévoles s'y sont mis à leur tour, mais un examen objectif de la structure du pont me fait craindre que ces efforts ne servent qu'à retarder le moment où le tablier tombera complètement en ruine.
Les dégâts dus au manque complet d'entretien de la structure depuis 1950 sont énormes et peut-être déjà irréparables.
Une partie des piles qui soutiennent les arches et les arches elles-mêmes sont construites en briques et en calcaire gélif. Les joints étanches qui garantissaient les piles contre les infiltrations d'eau du Cher ont en partie disparu: des pierres sont déjà descellées à la base du pont. L'eau entre donc librement au cœur des piles centrales et nul n'est capable aujourd'hui, en l'absence de diagnostic établi par des professionnels, de mesurer les dégâts en profondeur. Il faut ajouter que l'état l'abandon général qui marque la rivière conduit des troncs énormes, arrachés des berges, à percuter les piles, en période de crues et à s'accumuler là, augmentant la pression du courant contre les maçonneries.
Sur le tablier, la situation n'est guère plus brillante. L'enveloppe de plomb qui garantissait le tablier contre les infiltrations n'est plus qu'un souvenir. On accuse, sans doute avec raison, les récupérateurs de métaux clandestins d'être venus, avec leurs chalumeaux et ciseaux, profiter, dans l'indifférence générale, de cette mine de plomb à ciel ouvert. Ceux-la n'auront que juste achevé le lent pillage dont se vantaient autrefois les pêcheurs, qui venaient récupérer le métal pour économiser des olives et des poids de pêche.
Tout le monde le sait, même si on n'aime pas se le dire: le pont-canal de la Tranchasse est condamné. Tout ce que je décris est réversible, mais avec des budgets qu'aucune collectivité locale n'engagera jamais.
A part quelques promeneurs, ce pont ne sert plus à personne. L'eau n'y coulera plus jamais, le canal étant détruit à la Perche. Bientôt se posera la question de la sécurité de son accès, déjà condamné temporairement après des actes de vandalisme. Trouvera t-on au moins un peu d'argent pour aménager une petite passerelle, pour que randonneurs et cyclistes puissent poursuivre la très belle promenade qui suit l'ancien lit du canal?
C'est tout un pan d'histoire et de vie qui est au bord, au sens propre comme figuré, de l'effondrement.
© Olivier Trotignon 2014